Patriarche Youssef

Adresse de H.B. Patriarche Gregorios III à H.H. pape Francis

30 11 2013



Patriarcat Grec Melkite Catholique
d’Antioche et de tout l’Orient
d’Alexandrie et de Jérusalem


Pape François : On ne peut se résigner à un Moyen-Orient sans chrétiens. L’Eglise a besoin du patrimoine de l’Orient Chrétien


Gregorios III : Nous portons au Saint Père le salut filial d’une Eglise fière d’être en pleine communion avec le siège de Pierre, une Eglise qui est aujourd’hui une Eglise en détresse et pour laquelle le Pape François est Simon le Cyrénéen


 



 Sa Béatitude Gregorios III, patriarche d’Antioche et de tout l’Orient, d’Alexandrie et de Jérusalem, accompagné de plus de 15 hiérarques, membres du Saint-Synode de l’Eglise grecque-melkite catholique et de près de 500 pèlerins laïcs, est venu, ce samedi 30 novembre, porter au Saint-Père, le pape François, le « salut filial et dévoué » de son Eglise qui est « fière d’être en pleine communion avec le Siège de Pierre et avec Votre Sainteté. Communion à laquelle nous avons été fidèles malgré les persécutions qui ont fait de nous, pendant des décennies, une Eglise des Catacombes. »

Le patriarche a présenté au pape François son Saint-Synode avant un entretien en tête à tête marqué en sceau de la franchise, de la simplicité, de la fraternité et de la communion. Le Saint-Père et Sa Béatitude Gregorios III ont alors rejoint les pèlerins dans la salle Clémentine.

Ces fidèles représentaient l’ensemble de l’Eglise grecque-melkite catholique. Ils sont venus nombreux du Liban, de Syrie, de Jérusalem et de Galilée, d’Egypte, des Etats-Unis, du Canada, d’Australie… La délégation libanaise comptait un député et ancien ministre, Monsieur Michel Pharaon, le ministre libanais des Télécommunications, Monsieur Nicolas Sehnaoui, et le Procureur général auprès de la Cour des Comptes, Monsieur Fawzi Khamis. La délégation syrienne comptait aussi un député, Madame Maria Saadeh et Monsieur Riad Sarji, Président de la société Saint Vincent-de Paul à Damas et son représentant au sein du dialogue islamo-chrétien.

 Après avoir salué le Saint-Père, Gregorios III a présenté son Eglise en soulignant ses « trois principales caractéristiques ». « Une Eglise en pleine communion avec l’Eglise de Rome, fidèle à notre tradition orientale, en très bonne relation avec l’Eglise-sœur, orthodoxe, dans les Patriarcats d’Antioche, d’Alexandrie et de Jérusalem » ; « Une Eglise arabe par ses origines et ses racines » et enfin « une Eglise dans un monde à majorité musulmane. »

« Notre Eglise,  ajoutera Gregorios III, est une Église de Communion et de Témoignage.. ; (qui) a une responsabilité toute spéciale envers ce monde, qui est notre monde. C’est là que nous vivons notre christianisme depuis près de deux mille ans, dont 1.434 années avec l’Islam. »

« Cette Eglise que vous aimez est aujourd’hui une Eglise en détresse »dira le patriarche au Saint-Père avant de poursuivre « Pour cette Eglise qui est dans une situation inédite dans son histoire, vous êtes Simon le Cyrénéen, qui portez sa croix avec elle, et cela avec compassion et amitié. Pour cette Eglise orientale, surtout en Syrie, vous êtes comme le Christ  qui apaisa la tempête sur le lac de Tibériade. Comme le Bienheureux Pape Jean Paul II, qui fit tomber le mur de Berlin par sa prière et ses interventions courageuses, vous avez fait, Très Saint Père, un miracle en appelant les chrétiens et le monde entier au jeûne et à la prière, le 7 septembre dernier. Vous avez ainsi provoqué un tournant dans la crise syrienne, et même dans la vision de la politique mondiale. Le monde a changé, après le 7 septembre 2013 ! »

« Nous vous assurons que, malgré les malheurs et la situation tout à fait tragique que nous vivons depuis bientôt trois ans, nous voulons rester et aider nos fidèles à rester. Vous nous avez interpelés en nous disant de ne pas laisser la flamme de l’espérance s’éteindre dans nos cœurs… Nous voulons être martyrs sur cette terre, martyrs par le sang, comme c’est le cas de certains de nos fidèles, dont trois hommes de Maaloula: Michel Thalab, Mtanios Thalab et Sarkis Zachem. Très Saint Père, ce sont de vrais martyrs, qui ont été sommés d’abjurer et ont fièrement refusé. Trois autres, cependant, ont cédé et ont été obligés de professer l’Islam, mais ensuite ils sont revenus à la foi de leurs ancêtres. »

Gregorios III concluera son adresse au Saint-Père en disant « Nous pouvons, nous voulons et nous devons rester ensemble chrétiens et musulmans, pour être témoins de l’Evangile et construire ensemble, chrétiens et musulmans, un monde et un avenir meilleurs pour nos jeunes générations »

« Nous voulons rester dans ce Proche-Orient pour répondre à l’appel de Jésus… “N’aie pas peur, petit troupeau” (Luc 12, 32), et  cela parce que nous avons une grande mission à accomplir pour le grand troupeau. N’ayez pas peur, nous dit le Christ, car “Je suis avec vous, pour toujours, jusqu’à la consommation des temps” (Matthieu 28, 20). Oui, nous voulons rester et être, comme Jésus nous l’a demandé, lumière, sel et levain »

Le Pape François a fait sienne les souffrances de notre Eglise et a lancé un appel pressant aux différents responsables « pour que cesse la violence », pour laisser la place au dialogue « pour trouver des solutions justes et durables à un conflit qui a déjà fait trop de mal ». Il a appelé et au savoir-vivre ensemble entre Chrétiens et Musulmans et à la « sauvegarde de la liberté religieuse. » Ajoutant  que l’on ne pouvait  « se résigner à un Moyen-Orient sans chrétiens » saluant le rôle particulier de l’Eglise grecque-melkite catholique dans le dialogue islamo-chrétien.

La Saint-Père a demandé à chacun, Patriarche, évêques, prêtres et laïcs « d’assumer généreusement leurs responsabilités dans l’Eglise et dans la société. » Rappelant à ceux qui forment la « très importante diaspora » qu’il leur faut « sauvegarder leurs racines spirituelles, leurs traditions et leur identité parce que l’Eglise a besoin du patrimoine de l’Orient chrétien. »

La journée devait se conclure par les vêpres solennelles au Collège grec de Rome avant une liturgie pontificale célébrée, dimanche 1er décembre, par Sa Béatitude Gregorios III entouré des membres de son Saint-Synode à Santa-Maria in Cosmedin.


Ci-dessous le texte intégral de l’adresse de S.B. Gregorios III au Saint-Père le pape François.


Raboué, le 30 novembre 2013





T E X T E   I N T E G R A L



Très Saint Père,

       “Ubi caritas et amor, ibi Deus est! Congregavit nos in unum Christi amor”.

       C’est l’antienne qui répond à la promesse de Jésus: « Là où deux ou trois se trouvent réunis en mon Nom, je suis présent au milieu d’eux » (Matthieu18, 20).

       C’est aussi le beau titre donné à l’Eglise de Rome par Saint Ignace d’Antioche: l’Eglise « qui préside dans la charité. »

       Tout cela s’est réalisé d’une manière éclatante depuis la première heure de votre Pontificat. « Deus caritas est », a dit l’Evangéliste Saint Jean le Théologien (1 Jean4, 8). On peut dire aussi, de Votre Sainteté, « Franciscus caritas est ». On lit dans les vêpres de la fête du trépas de Saint Jean le Théologien cette très belle phrase: « Merveille qui dépasse notre esprit, affaire concernant les sages: Celui qui était plein d’amour fut aussi comblé de théologie! »

       Je crois voir dans cette louange une expression éloquente et adéquate du ministère pétrinien de Votre Sainteté: vous êtes plein d’amour et pour cela un grand théologien!

       C’est pour notre Eglise patriarcale d’Antioche une très grande joie de saluer Votre Sainteté aujourd’hui. Nous vous portons le salut filial et dévoué de nos prêtres, religieux, religieuses, diacres et laïcs, hommes et femmes engagés à côté de leurs pasteurs dans les différentes formes d’apostolat et le service des pauvres, dans les universités, les écoles, les hôpitaux, les orphelinats, les confréries, les groupes de jeunes...

       Notre Eglise est fière d’être en pleine communion avec le Siège de Pierre et avec Votre Sainteté. Communion à laquelle nous avons été fidèles malgré les persécutions qui ont fait de nous, pendant des décennies, une Eglise des Catacombes.

       Trois aspects caractérisent notre Eglise:

       1) Nous sommes une Eglise en pleine communion avec l’Eglise de Rome, fidèle à notre tradition orientale, en très bonne relation avec l’Eglise-sœur, orthodoxe, dans les Patriarcats d’Antioche, d’Alexandrie et de Jérusalem.

       2) Nous sommes une Eglise arabe par ses origines et ses racines.

       3) Nous sommes une Eglise dans un monde à majorité musulmane.

       C’est ce qui m’a poussé à recourir à une terminologie, pour d’aucuns osée, car mal comprise. Nous sommes l’Eglise des Arabes (en plus d’être une Eglise arabe) et une Eglise de l’Islam, c’est-à-dire une Eglise dont l’histoire, le présent et l’avenir sont liés à l’Islam: une Eglise arabe, avec et pour les Arabes; une Eglise de l’Islam, avec et pour l’Islam. En tant qu’Eglise au Proche-Orient, nous avons donc une responsabilité toute spéciale envers ce monde, qui est notre monde. C’est là que nous vivons notre christianisme depuis près de deux mille ans, dont 1.434 années avec l’Islam. Notre Eglise est celle qui est définie par le Synode pour le Moyen-Orient et dans l’Exhortation Apostolique Post-Synodale Ecclesia in Medio Oriente, de votre cher prédécesseur, Sa Sainteté Benoît XVI, sur le thème: « Communion et témoignage. »

       Notre Eglise est répandue dans tous les pays du Proche-Orient et, dans des proportions différentes, dans les pays d’émigration. C’est ce qui explique les caractéristiques que je viens de mentionner.

       Vous avez rencontré notre Eglise de l’émigration en Amérique Latine, notamment dans votre pays, l’Argentine. J’ai eu le plaisir de vous faire une visite à Buenos Aires le 26 août 2010. Vous connaissez et vous aimez cette Eglise orientale, dans la richesse de l’Orientale Lumen, de ses rites, de sa spiritualité, de sa théologie et de toutes ses traditions.

       Cette Eglise que vous aimez est aujourd’hui une Eglise en détresse. Vous ne cessez d’en parler, et surtout de cette Syrie que vous appelez « bien-aimée », où se trouve le siège de notre Patriarcat antiochien.

       Pour cette Eglise qui est dans une situation inédite dans son histoire, vous êtes Simon le Cyrénéen, qui portez sa croix avec elle, et cela avec compassion et amitié. Pour cette Eglise orientale, surtout en Syrie, vous êtes comme le Christ  qui apaisa la tempête sur le lac de Tibériade.

       Comme le Bienheureux Pape Jean Paul II, qui fit tomber le mur de Berlin par sa prière et ses interventions courageuses, vous avez fait, Très Saint Père, un miracle en appelant les chrétiens et le monde entier au jeûne et à la prière, le 7 septembre dernier. Vous avez ainsi provoqué un tournant dans la crise syrienne, et même dans la vision de la politique mondiale. Le monde a changé, après le 7 septembre 2013!

       Nous pressentons que vous préparez des initiatives qui vont changer la vision du monde, surtout au Proche-Orient, et par là dans le monde entier.

       Oui! Nous attendons une initiative qui aboutisse à résoudre le conflit israëlo-arabo-palestinien, et établisse une paix juste, durable et totale au Proche-Orient, à partir de la Terre Sainte et de Jérusalem, cette Ville de la Paix qui est notre mère. C’est vous qui allez faire tomber le mur qui, malheureusement, ne sépare pas seulement Juifs et Palestiniens, mais aussi les pays arabes entre eux, ce qui menace la convivialité, le dialogue islamo-chrétien et les valeurs humaines.

       Résoudre ce conflit, qui dure depuis 65 ans, cela veut dire résoudre 50 pour cent des problèmes du Proche-Orient et garantir la présence chrétienne, une présence tellement importante, de communion et de témoignage.


Très Saint Père,

       Beaucoup de nos fidèles ont quitté le Proche-Orient. Beaucoup d’autres veulent partir. Nous déployons tous les efforts possibles pour les aider à rester. L’Eglise déploie une activité très intense pour assurer un minimum d’aide humanitaire. Nous remercions Votre Sainteté, la Congrégation pour les Eglises Orientales et les différents organismes qui nous assistent à cet effet.

       Nous vous assurons que, malgré les malheurs et la situation tout à fait tragique que nous vivons depuis bientôt trois ans, nous voulons rester et aider nos fidèles à rester.

       Vous nous avez interpelés en nous disant de ne pas laisser la flamme de l’espérance s’éteindre dans nos cœurs. Aidés et soutenus par vos prières, votre sollicitude et vos initiatives prophétiques, courageuses et évangéliques, nous voulons rester sur cette terre bénie, berceau du christianisme. Nous voulons être martyrs sur cette terre, martyrs par le sang, comme c’est le cas de certains de nos fidèles, dont trois hommes de Maaloula: Michel Thalab, Mtanios Thalab et Sarkis Zachem.

       Très Saint Père, ce sont de vrais martyrs, qui ont été sommés d’abjurer et ont fièrement refusé. Trois autres, cependant, ont cédé et ont été obligés de professer l’Islam, mais ensuite ils sont revenus à la foi de leurs ancêtres.


Très Saint Père,

       Aidez-nous à rester au Proche-Orient: ex Oriente lux!

       J’ai récemment lancé, pour notre Eglise Grecque-Melkite Catholique, un triple slogan qui est comme un engagement, que j’aime répéter devant Votre Sainteté, en mon nom propre et au nom de toute notre Eglise:

       1) Nous devons rester ensemble, chrétiens et musulmans, pour être témoins de l’Evangile et construire ensemble, chrétiens et musulmans,  un monde et un avenir meilleurs pour nos jeunes générations.

      2) Nous pouvons rester ensemble, chrétiens et musulmans, pour être témoins de l’Evangile et construire ensemble, chrétiens et musulmans, un monde et un avenir meilleurs pour nos jeunes générations.

       3) Nous voulons rester ensemble, chrétiens et musulmans, pour être témoins de l’Evangile et construire ensemble, chrétiens et musulmans, un monde et un avenir meilleurs pour nos jeunes générations.


Très Saint Père,

       Nous voulons rester dans ce Proche-Orient pour répondre à l’appel de Jésus, qui nous répète continuellement (et vous ne cessez de nous le rappeler): “N’aie pas peur, petit troupeau” (Luc12, 32), et  cela parce que nous avons une grande mission à accomplir pour le grand troupeau. N’ayez pas peur, nous dit le Christ, car “Je suis avec vous, pour toujours, jusqu’à la consommation des temps” (Matthieu28, 20).

       Oui, nous voulons rester et être, comme Jésus nous l’a demandé, lumière, sel et levain(Matthieu5, 13-14).

       Nous vous assurons de nos prières, et nous demandons les vôtres et votre bénédiction.

       Nous vous aimons, Pape François!